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LA DOUBLE BOUCLE


monde : Lebon[1] qui, d’urgence, avisa Billot ; le ministre de la Guerre qui, en toute hâte, envoya Gribelin voir la pièce[2] ; l’archiviste qui rendit compte à Picquart ; enfin Picquart lui-même qui informa Boisdeffre[3]. Lebon, quand il reçut le chef du service des Renseignements, avait déjà fait parvenir la lettre à la préfecture de police, à Bertillon ; mais il lui en récita le texte[4].

Il n’y avait pas une semaine que Picquart avait découvert l’erreur judiciaire. Cependant, il s’était laissé convaincre par Du Paty[5] — en quelque mésestime qu’il le tînt — et par Bertillon[6] — bien qu’il le jugeât un maniaque dangereux — que Mathieu Dreyfus avait suborné un pauvre diable qui prendrait à son compte le crime imputé à l’innocent[7]. Une telle imposture, et si stupide, de la part de cet honnête homme, ne l’étonna pas[8]. Il crut, dès lors, que la lettre sai-

  1. Rennes, I, 241, Lebon : « Ce document nous a beaucoup surpris, beaucoup inquiétés. »
  2. Cass., I, 162 ; Rennes, I, 435, Picquart : « Le général Billot ne voulut pas que j’y allasse moi-même et j’y envoyai Gribelin. » Instr. Fabre, 99 : « Le général ne voulut pas, ce sont ses propres expressions, que les Colonies me crussent à leur service. » — Instr. Tavernier, 18 oct., Gribelin.
  3. Instr. Fabre, 99 ; Rennes, I, 435, Picquart.
  4. Rennes, I, 241, Lebon ; I, 435, Picquart.
  5. Ibid., 435, Picquart.
  6. Ibid., 431, 435, Picquart ; II, 379, Bertillon.
  7. Revision, 116, Picquart : « Influencé par le milieu, je crus… etc. » De même, Instr. Fabre, 100 ; Rennes, I, 435.
  8. Cass., I, 163 ; II, 209 ; Rennes, I, 436, Picquart : « On m’objectera peut-être que j’ai dû être gêné par ces manœuvres dans la conviction que je m’étais faite de l’innocence de Dreyfus. Non. Le faux m’a troublé, mais je l’ai accordé parfaitement avec la découverte que je venais de faire. Je me disais : « La famille cherche un moyen quelconque pour délivrer le condamné. Elle emploie un homme de paille. Le moyen est ridicule. Le moyen n’aboutira qu’au scandale. Mais, enfin, c’est un moyen désespéré. »