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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


goût passager pour le métier. Il vécut alors (de 1872 à 1876) les années les meilleures de sa vie. Après un stage de quelques mois en Afrique[1], il était devenu l’officier d’ordonnance d’un chef excellent, modèle de loyauté et de droiture, le général Grenier, qui avait été le camarade de son père, en Crimée, et l’ami de son oncle[2]. Cette âme trouble parut se clarifier dans cette atmosphère d’honneur. Le vieux général n’eut qu’à se louer de lui. Il était la gaieté de la maison par les vives saillies d’un esprit curieux, souple, toujours en mouvement. Il avait beaucoup lu, beaucoup retenu (jusqu’à abuser des citations classiques), s’était assimilé toutes sortes de connaissances et était lui-même une espèce de livre, amusant, entre tous, à feuilleter. D’une imagination fébrile, il improvisait, dans le feu du discours, des romans dont il était le héros ; il lui arriva d’y croire lui-même.

Le pétillement de ses idées divertissait tout le monde. Ceux qui l’ont fréquenté à cette époque gardèrent de lui le souvenir d’un séducteur[3]. Les jets subits de colère où il éclatait déjà, ses explosions contre les choses et les hommes, révélaient le fond du volcan, mais passaient pour des boutades. Même quand il aura

  1. Au 2e régiment de zouaves, à Oran.
  2. Cass., I, 711, Gaston Grenier. — Le général Walsin-Esterhazy était mort à Lyon en 1871. Il était rentré au service, au commencement de la guerre, en qualité de commandant de la province d’Oran, y avait proclamé la République au 4 septembre et avait été nommé (24 octobre) gouverneur intérimaire de l’Algérie. À la suite d’une émeute, où il paraît avoir manqué de sang-froid, il fut obligé de s’embarquer pour la France, (Enquête, III, 2e division, 15, 86. 87, etc.) — Esterhazy fut amené au général Grenier par l’un de ses officiers d’ordonnance, le capitaine Uhrich, fils du défenseur de Strasbourg. Uhrich et Esterhazy avaient fait la campagne de l’Est à l’État-Major du général Rebillard.
  3. Cass., I, 712, Grenier.