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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Ses nuits ont été alors, de son propre aveu, des nuits d’insomnie[1].

Il eut, en effet, et tout de suite, la claire vision du drame qui s’était accompli au ministère de la Guerre et dont le dénouement était entre ses mains.

Quelle affaire plus simple ! Toutes les preuves morales, matérielles, contre Esterhazy ; pas une, pas une présomption contre Dreyfus. Il n’était pas besoin d’être expert pour comparer les écritures, pas besoin d’être psychologue pour connaître entre ces deux hommes, le Juif ambitieux, passionné de son métier, riche, et l’aventurier louche, besoigneux, cynique, quel était le traître.

Même, comme il avait une longue et souvent amère expérience des hommes. Billot vit plus loin que Picquart qui, jeune, point enclin à soupçonner le mal, entêté à croire que l’équité est la vertu des puissants, n’apercevait qu’une erreur judiciaire où un œil plus exercé discernait un crime.

Billot était l’ami de Saussier ; il savait le mépris du vieux soldat pour Mercier et son opinion sur l’affaire. La veille du procès, les officiers du gouverneur de Paris étaient venus au ministère, n’avaient pas caché l’avis de

  1. Cass., I, 337, Barthou : « J’ai le souvenir précis d’avoir entendu le général Billot, au moment du procès Zola, dire qu’il avait eu, pendant plusieurs jours, des doutes sur la culpabilité de Dreyfus et qu’il n’en avait pas dormi pendant plusieurs nuits. » — De même Poincaré (I, 294). — Billot convient, à Rennes, sur une interrogation de Demange rappelant ces dépositions : « J’ai passé plusieurs nuits sans sommeil, et ce n’est pas seulement à cette époque-là ; c’est à toutes les époques où l’affaire a été agitée. » Et encore : « Agité, oui ! ému, oui ! mais calme et cherchant la vérité, j’ai eu à ce moment des doutes. » Plus loin : « Oui, j’ai eu, non pas des doutes, mais des hésitations, j’ai eu des nuits sans sommeil ; j’en ai encore quelquefois, entendez-le bien ! « (Rennes, I, 178, 179.)