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LA DOUBLE BOUCLE


d’arriver à un résultat sans faire quelque bruit. « Cependant, « c’est le meilleur moyen de marcher sûrement ».

Gonse insiste encore « qu’il est nécessaire de marcher avec une extrême prudence » et « serre la main bien affectueusement à son cher Picquart ».

Le caractère dilatoire de cette lettre n’échappa point à Picquart, ni la contradiction des raisons invoquées par Gonse pour ajourner l’expertise et pour commencer une enquête au sujet des documents. En enlevant la date et la signature d’Esterhazy, l’expertise pouvait se faire très discrètement. Ainsi Picquart venait de procéder avec Bertillon ; ainsi Gonse lui-même, en 1894, avec Bertillon et Gobert. D’autre part, l’enquête impliquait la divulgation du nom d’Esterhazy.

Dans l’intervalle s’était produit l’incident de la lettre à l’encre sympathique. Picquart était allé en voir, chez Bertillon, l’original, dont les bizarres caractères semblaient d’une arabesque[1]. L’anthropométreur y trouvait une preuve nouvelle que les Dreyfus avaient dressé « un homme de paille » à imiter l’écriture du bordereau, « l’acteur prêt à agir ». Picquart s’étonna un peu de n’avoir jamais rencontré, depuis un an qu’il suivait la correspondance adressée à Dreyfus, ni une écriture semblable à cet étrange dessin, ni cette signature illisible[2]. Mais il ne s’étonna pas de raisonner, dans l’espèce, comme Bertillon, puisqu’il croyait, lui aussi, que la famille Dreyfus avait payé quelqu’un « qui consentait à se faire passer pour le traître »[3]. Il s’effraya de cette tentative maladroite.

  1. Revision., 117, Picquart : « Lettre écrite en caractères étranges, semblable à un dessin. »
  2. Instr. Fabre, 100, Picquart.
  3. Ibid.; Cass., I, 163 ; II, 209, Picquart.