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LA DOUBLE BOUCLE

Il a suffi, pour faire arrêter Dreyfus, du bordereau dont l’écriture offre seulement quelque ressemblance avec celle d’un officier jusqu’alors insoupçonné. Et, contre Esterhazy, ce même bordereau, d’une écriture identique à la sienne, le petit bleu, les confidences de Cuers à Foucault et des monceaux de preuves morales ne suffisent pas !

Picquart feint de croire que la réponse est loyale, que les chefs ne refusent pas de faire leur devoir, mais qu’ils sont soucieux d’agir avec prudence. Il conseille, dès lors, de mettre Esterhazy aux arrêts de rigueur, au Cherche-Midi, ce qui l’empêchera de prendre la fuite ; les procédés d’escroquerie, qui ont été relevés contre lui, le scandale de sa vie, motivent cette mesure. On poursuivra l’enquête pendant sa détention, avec une vigueur nouvelle[1].

Nouveau refus de Gonse. L’esprit de Picquart est ingénieux. L’idée lui vient de tendre à Esterhazy le piège où les Allemands ont fait choir, récemment, un agent français. Esterhazy, dit-il, et « son correspondant habituel » savent, maintenant, par les indiscrétions de l’Éclair, que le bordereau est aux mains de l’État-Major ; pourtant, comme Esterhazy est aux manœuvres, ils ne pourront pas communiquer d’ici deux jours, « On pourrait envoyer d’urgence à Esterhazy, en se servant des termes et des conventions du petit bleu, un télégramme l’invitant à venir à Paris[2]. » S’il accourt, son affaire

  1. Cass., I, 168 ; Rennes, I, 442, Picquart. — Rennes, I, 525, Boisdeffre : « Il voulait qu’on fit arrêter Esterhazy immédiatement, »
  2. Instr. Fabre, 225, Picquart : « Ce télégramme serait le suivant : « Affaire importante et urgente concernant maison R. Venez immédiatement à Paris. Vous ferai attendre à la gare. (signé) C. »