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LA DOUBLE BOUCLE


juges de 1894. D’autre part, l’article a produit une immense impression ; il a, semble-t-il, accablé les rares défenseurs de Dreyfus ; avantage précieux, et qu’il ne faut pas compromettre.

Et, non moins vivement, tranchant et dur, il refuse de mettre Esterhazy aux arrêts. « Un vrai chef du service des Renseignements, dit-il à Picquart, a d’autres moyens[1]. » Par contre, il l’autorise à envoyer le faux télégramme à Esterhazy ; — à cette date, le 18 au matin, le jour même où finissent les manœuvres, c’était bien tard, si tard que Picquart eût été cent fois justifié à retirer sa proposition. — Seulement, Boisdeffre ne donnera pas l’ordre réclamé : « Allez trouver le ministre[2]. »

Picquart se rend chez Billot, lui expose les faits, ajoute que, si l’épreuve réussit, il va falloir arrêter sans retard Esterhazy. « Ah ! non, s’écrie Billot, je ne serai pas un sous-Mercier ! » Il avait paru, bien qu’avec un peu d’hésitation, approuver qu’on usât d’un stratagème contre l’espion ; mais, quand Picquart déclara qu’il n’agirait pas sans un ordre, le ministre à son tour refusa de le donner[3].

  1. Cass., I, 168 ; Rennes, I, 442, Picquart.
  2. Ibid. — Rennes, I, 171, Billot : « Picquart proposa même au général Gonse et au général de Boisdeffre d’envoyer à Esterhazy une dépêche pour lui tendre un piège. Ils refusèrent. » — Gonse ne dit pas un mot de l’incident. Boisdeffre dit seulement que Picquart proposa l’envoi d’un faux télégramme (Rennes, I, 525). Roget nie « que Picquart ait été incité par ses chefs à cette manœuvre »; cependant « sa note a été communiquée par Gonse à Boisdeffre, et, pour bien montrer qu’on a donné de la marge à Picquart, Boisdeffre a soumis la proposition au général Billot qui la repoussa avec indignation ». (Rennes, I, 312.) Trarieux observe (III, 463) que, « sur le moment, ni Gonse, ni Boisdeffre ne dirent à Picquart : « Abstenez-vous, c’est un procédé coupable ! » Tout le monde a trouvé alors sa conduite naturelle ».
  3. Billot, dans sa première déposition du 8 novembre 1898, ne mentionne pas l’incident. Dans sa deuxième, du 20 janvier 1899, il