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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


la machination dont il avait soupçonné Mathieu Dreyfus ; quoi ! il avait pu se méprendre à ce point, prendre pour une lettre authentique une pièce aussi inepte !

Il voulut mettre Bertillon sur ses gardes. Il trouva l’anthropométreur occupé à faire imiter la lettre par un de ses employés qui était arrivé à une similitude parfaite. Picquart regarda la copie par transparence ; le filigrane du papier était identique à celui de l’original : « Vous voyez, dit Bertillon en riant et très fier, qu’on a pensé à tout[1]. »

Le fac-similé sera envoyé à l’île du Diable ; on verra ce que Dreyfus fera en le recevant[2]. Seulement, la partie essentielle de la lettre, les phrases de l’interligne, à l’encre sympathique, en ont été supprimées.

L’expérience, ainsi énervée, sans objet, fut, en effet, tentée. Ce n’était pas un de ces pièges qu’on avait honte de tendre ; ce faux, le faux d’un faux était licite. Dreyfus regarda la lettre, n’y comprit rien et la jeta dans un tiroir[3], comme il avait fait de celle qu’il avait reçue l’année d’avant.

Picquart se demanda qui pouvait bien être l’auteur de la lettre ; et, comme il continuait à l’interpréter par l’idée familière à Du Paty que les Dreyfus avaient trouvé un « homme de paille[4] », il l’attribua à l’enquêteur de 1894 ; l’auteur principal de l’erreur judiciaire

  1. Revision, 116 ;Cass., I, 163, Picquart,
  2. Cass., I, 163, Picquart ; Rennes, II, 385, Bertillon.
  3. Rennes, I, 247, Dreyfus.
  4. Revision, 117 ; Cass., I, 162, Picquart : « Lorsque j’ai vu plus tard la lettre Espérance, qui aurait été envoyée à Esterhazy par une dame voilée, il m’a semblé reconnaître, au bas des lettres, des boucles du même genre que celles de la lettre Weyler ; mais c’est une simple impression. » — De même, Cuignet (Cass., I, 345). Or, dit Cuignet, « la femme voilée, c’est Du Paty ».