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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Bernard Lazare était de la race de ces Juifs que célèbre l’Évangile : « Ils courent la terre et la mer pour faire un prosélyte[1]. » Rentré à Paris, il multiplia les démarches chez les journalistes, leur demandant seulement de lire son mémoire, de le discuter. Il se heurta, presque partout, à des refus systématiques ou à des déclinatoires polis. Le directeur du Figaro, Fernand de Rodays, lui dit qu’ayant assisté à la dégradation de Dreyfus, il le croyait innocent, mais qu’il lui était impossible d’engager son journal. Forzinetti osa l’accompagner chez Jaurès et chez Rochefort.

L’accueil de Jaurès fut froid ; il n’aperçut même pas l’intérêt du parti socialiste à porter la torche dans les ténèbres de la haute armée. Au contraire, Rochefort fut très cordial ; il dit à Bernard Lazare que Dupuy, premier ministre à l’époque du procès, était capable de toutes les « gredineries » et demanda à Forzinetti « pourquoi il n’avait pas fait évader Dreyfus[2] ». Mais l’administrateur de l’Intransigeant, Vaughan, le dissuada de s’embarquer dans une telle aventure. Bernard Lazare étant revenu à l’assaut, Rochefort objecta que le courant de l’opinion était trop fort et qu’on ne le remonterait jamais.

Le « tirage » de son journal aurait baissé ; un journaliste, vraiment moderne, n’est pas un semeur d’idées ; c’est un marchand de papier.

Quelques journaux[3] analysèrent sommairement le mémoire pour Dreyfus ; tout le reste de la presse fut malveillant ou hostile. Rochefort, pénitent, décréta « qu’il y a toujours un Juif au fond de tous les grands

  1. Évangile selon Mathieu, c, xxiii.
  2. Intransigeant du 31 octobre 1897, article de Rochefort : « Trois ans de bail. »
  3. Temps, Débats, Radical.