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HENRY


Schwarzkoppen, d’abord, et, pour la première fois, il vit, avec horreur, la vérité : que Dreyfus avait été condamné pour le crime d’Esterhazy. Et le fils du grand-rabbin Zadoc Kahn[1].

Ce jeune homme était clerc dans une étude d’avoué. Esterhazy, à son retour à Paris, le 10 novembre, le jour même où parut le bordereau, reçut une lettre de cet avoué qui poursuivait contre lui le recouvrement d’une créance de quelques centaines de francs[2]. Il lui avait donné sa parole de gentilhomme et de soldat de s’acquitter fin octobre, et, nécessairement, il n’avait pas un sou vaillant pour payer sa dette. Il écrivit donc à son correspondant, qui était Juif, pour solliciter de nouveaux délais et, longuement, il reprit son antienne, les services qu’il avait rendus à Israël. L’avoué, crédule, ému, passe la lettre à son clerc pour qu’il la classe ; il serait misérable de traquer cet officier pour une facture impayée. Au bout de quelques instants, le fils du rabbin rentre, tout pâle, dans le cabinet de son patron, et, montrant la lettre et le fac-similé du Matin, explique que c’est la même écriture. L’avoué, sans y regarder, l’engage à se guérir de sa folie. Le jeune homme se retire, mais, le soir, il informe son père.

Le grand-rabbin avait toujours cru à l’innocence de Dreyfus, mais il croyait aussi à la loyauté de l’officier

  1. Léon Berger la reconnut également. Esterhazy l’avait fait attaquer dans la Libre Parole, puis lui avait écrit pour lui proposer, contre quelque argent, de faire cesser la campagne. Berger (à Constantinople) montra ces lettres et le fac-similé du bordereau à des amis. Tous s’en turent, nul ne songea à avertir Mathieu Dreyfus ou Demange.
  2. L’incident a été raconté par Séverine, dans la Fronde du 1er juillet 1899 : « Mon ami est Gustave Cahen, avoué : il m’a autorisé à le nommer, il est prêt à répéter ce qu’il me confia. » J’ai contrôlé et complété ce récit.