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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Je suis corps et âme dévoué à mes amis, mais je ne pardonne jamais à ceux qui m’ont fait du mal ; ce misérable vieillard m’en faisant énormément, je me venge et je me vengerai, tant qu’il vivra.

Pour Saussier, après ce que j’avais fait pour lui, il aurait dû me demander personnellement près de lui au lieu de faire donner de l’avancement à un b… qui ne sait pas le vent d’un coup de canon.

Si je ne peux pas me recoller, si je m’en vais, je leur réserve une histoire qui fera un scandale dont on parlera dans le monde entier.

Dans une lettre précédente à Grenier, il a déjà esquissé la même menace[1]. Il a écrit, de même, à Jules Roche « qu’il n’est pas un résigné et qu’il est, comme un Romain de bonne époque : au point de ne rien dire, en état de tout faire[2] ». Si Boisdeffre, Gonse et Henry ont connaissance de ces propos, ils comprendront : Esterhazy va se dénoncer lui-même comme l’auteur du bordereau. Il se perdra, mais il les perdra avec lui. Ou plutôt, il ne perdra qu’eux, puisqu’il aura pris la précaution de passer la frontière[3]. Et il prépare ce coup de tonnerre, en racontant que Dreyfus est innocent. Il l’a dit à sa maîtresse, à Weil, à Ernest Crémieu, à Grenier, à d’autres encore[4].

On voudrait connaître ses conversations d’alors avec Henry, et s’il poussa l’audace jusqu’à écrire directement à Boisdeffre.

Ainsi, il faisait de sa propre infamie une arme contre les chefs qui l’avaient sauvé, et contre Henry, Si ce

  1. Rennes, II, 6, Grenier.
  2. Cass., I, 710.
  3. « Si je m’en vais… » Le terme est volontairement équivoque.
  4. Cass., I, 308, Weil ; 715, Grenier ; 792, Louise Gérard.