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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


avait suffi pour juger l’excellente femme, très dévote et d’une ignorance complète des affaires du monde.

Le jeune Christian, huit jours après la mort de son père, fut très fier de recevoir une belle lettre du commandant qu’il tenait pour le grand homme de la famille. Esterhazy ne se contentait pas d’y exprimer des sentiments d’une chaleureuse sympathie, mais il s’enquérait avec sollicitude de la situation où se trouvaient ces pauvres gens, laissés seuls, et si subitement, dans la vie. Christian, par retour du courrier, exposa que l’héritage paternel n’atteignait pas 5.000 francs, mais que sa mère cherchait un placement avantageux pour les 170.000 francs qu’elle avait tirés de la vente d’une propriété. Elle se défiait des journaux, dont les renseignements sont intéressés, et des notaires, dont les désastres sont fameux. On lui avait conseillé des valeurs turques.

La réponse d’Esterhazy[1] à « son cher Christian » paraîtrait au théâtre d’une excessive bouffonnerie. Il lui promet d’abord de reporter sur lui toute l’affection qu’il avait pour son père, « dont la mort laisse dans sa propre vie un bien grand vide », — ils ne s’étaient pas vus deux fois depuis dix ans, — et, comme il n’a pas de fils, « tout ce qu’il pourra faire désormais sera pour ce cher enfant ». Ainsi, il est l’ami intime d’Edmond de Rothschild, qui veut bien l’intéresser, « sans aucun risque ni aléa », à ses affaires. Or, cette aide puissante, dont il a fait profiter naguère, en secret, le père de Christian, il la leur offre, au fils et à la veuve de son ami, mais à cette condition formelle qu’ils s’en tairont à tous, parce que la moindre indiscrétion mettrait un terme immédiat à ses relations avec les grands ban-

  1. Lettre du 30 octobre 1896.