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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en annulation de l’illégal jugement. Mais la preuve juridique lui faisait défaut que la loi avait été violée. Il en serait, dès lors, réduit à demander au ministre d’ordonner une enquête ; et pour cela, il lui fallait l’assistance de ses confrères et d’hommes politiques. Or, ses amis l’invitaient à temporiser : « C’est trop tôt, lui disaient-ils, attendez[1]. » Il engagea Scheurer à se faire montrer la pièce secrète par Billot.

Scheurer, quelques jours après, ayant rencontré Billot au Sénat, lui demanda une preuve inédite, décisive, du crime de Dreyfus.

Billot, mis sur ses gardes par Bertin, prend son air malin ; il dit à Scheurer qu’à la vérité il ne peut pas lui ouvrir le dossier de l’affaire ; mais il lui confie, comme au meilleur de ses amis, que, l’an passé, à l’époque de l’interpellation de Castelin, ses agents ont trouvé une pièce qui supprime toute incertitude. Dans le même panier où ils avaient déjà ramassé le bordereau, ils ont pris une lettre déchirée, mais qui a été reconstituée, de Panizzardi à Schwarzkoppen. Il lui en donna un texte approximatif[2] ; le nom du Juif, de Dreyfus, s’y trouve ; ce sont ses complices eux-mêmes qui le dénoncent ; c’est « le coup de massue[3] ». Scheurer s’étonne : « Et

  1. Procès Zola, I, 379, Demange.
  2. Scheurer, de mémoire, le nota comme suit, le jour même : « Tu vas partir pour Berlin comme je vais partir pour Rome. Le ministre de la Guerre est très ennuyé de cette interpellation. Il doit être bien entendu que, si nous sommes questionnés chez nous, nous affirmerons n’avoir jamais eu de rapports avec ce juif de Dreyfus. »
  3. Teyssonnières déposa, au procès Zola (I, 448), que Scheurer lui avait raconté, lors de leur entrevue du 29 juin 1897, sa conversation avec Billot. Comme Scheurer avisait le ministre que les défenseurs de Dreyfus s’agitaient : « Qu’ils y viennent, aurait répliqué le ministre, je les assomme d’un coup de massue ! » Et Teyssonnières ajouta : « C’est ce « coup de