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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


se faire oublier sur la terre d’Afrique. L’inquiète conscience des chefs l’y poursuit quand même. Il a commis le plus grand des crimes : il sait leur crime. Cela est inexpiable.

S’il n’essaie pas de réveiller la justice endormie, il n’est pas en son pouvoir qu’un autre ne l’éveille. Fatalement, elle s’éveillera. Si son témoignage est invoqué, il dira la vérité. Aussitôt s’exécuteront les représailles annoncées par Henry. Il sera discrédité comme témoin, comme soldat[1].

Pour assurer sa sécurité, il ne peut rien que se taire, — en attendant l’heure où se taire serait un mensonge. Mais son honneur, il le mettra à l’abri.

XI

Picquart, depuis huit mois, n’avait eu qu’un congé de quelques jours, en mars, pour régler des affaires de famille (2). Il demanda au général Leclerc un second congé pour aller à Paris. Il y arriva le 20 juin et, dès le lendemain, se rendit chez Leblois[2], son plus vieil ami et le seul avocat qu’il connût[3].

Il ne lui dit d’abord que sa détresse ; il peut d’un moment à l’autre être l’objet de mesures graves ; pourtant, avant de le mettre au courant des incidents qui bouleversent sa vie, il veut consulter deux de ses an-

  1. Cass., I, 197 ; Rennes, I, 460, Picquart.
  2. Instr. Fabre, 235, lettre de Gonse du 10 mars 1897. — Cass., II, 225, Esterhazy : « La dame voilée m’a appris que Picquart était venu à Paris, dans le plus grand mystère, au printemps de 1897, et ouvertement en juin. »
  3. Instr. Fabre, 81 ; Cass., I, 196, Picquart.