cette requête ne serait étayée d’aucune preuve : Picquart a tenu en mains les pièces secrètes ; mais Leblois refuse de « livrer » Picquart.
Scheurer imagina une autre procédure. Il est difficile d’arriver jusqu’à la vérité, quand on la soupçonne seulement, à tâtons, dans les ténèbres. Il est plus aisé de parvenir à elle quand elle resplendit au grand soleil. Par quel chemin ? Par le même qu’a suivi Picquart. Dreyfus a été condamné sur une expertise d’écritures ; que Scheurer réussisse à se procurer de l’écriture d’Esterhazy et le voilà muni, lui aussi, de la preuve matérielle que le bordereau n’est pas de Dreyfus[1]. Cette preuve, il l’aura obtenue, en dehors de Leblois, sans compromettre Picquart. Il est trop tard, semble-t-il, pour agir à la veille des vacances parlementaires ; il convient de prévoir la résistance des pouvoirs publics ; Scheurer est insuffisamment armé pour la lutte ; il se munira, préparera son plan d’action en Alsace, pendant l’été ; à l’automne, il entrera en scène.
Leblois approuva. Il fut décidé qu’un policier retraité, l’agent Jaume, serait mis en chasse pour chercher des spécimens de l’écriture d’Esterhazy[2].
Si Leblois avait autorisé Scheurer à me nommer Esterhazy, le soir même, je lui aurais porté dix lettres du misérable. Le souvenir me serait revenu aussitôt que Crémieu-Foa m’avait prié d’être, avec Esterhazy, l’un de ses seconds, quand il se rencontra avec Drumont. Je courais chez le frère de Crémieu ou chez son beau-frère Grenier.
De même, Demange. Il avait été l’avocat de Morès dans l’affaire du capitaine Mayer. L’écriture d’Esterhazy était au dossier, au greffe du Palais de Justice.