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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

XIV

Scheurer passa trois mois en Alsace[1].

L’agent Jaume lui procura assez vite de l’écriture d’Esterhazy ; d’abord une lettre récente, où le traître, comme il faisait depuis un an, avait déguisé son écriture, sauf sur l’enveloppe ; puis, deux lettres plus anciennes, et une autre encore, contemporaine, d’une écriture courante[2]. Il compara avec un fac-similé du bordereau ; c’était l’identité.

Il se réjouit d’abord d’avoir entre les mains ces preuves positives[3] ; à la réflexion, il trouva que c’était peu pour engager une pareille bataille. L’écriture du bordereau a suffi (officiellement) à condamner Dreyfus ; pour le sauver, celle d’Esterhazy ne suffit pas. Les esprits libres, non prévenus, les yeux sincères sont, partout, en minorité. Les experts accusateurs étaient infaillibles ; les experts libérateurs seront disqualifiés ; pour la masse du public, simpliste, rebelle à l’idée d’une erreur judiciaire commise par des soldats, toutes les expertises se vaudront. L’État-Major inventera d’autres preuves ; une contre-expertise pèsera peu.

C’était raisonner sagement ; cependant, il n’eut jamais autre chose dans son dossier.

  1. Du 19 juillet au 22 octobre 1897.
  2. 26 juillet, 3 août et 11 septembre. (Voir p. 559)
  3. Il m’écrivit, de Thann, le 27 juillet, mais sans me nommer Esterhazy : « J’ai une comparaison bien extraordinaire à faire. Je crois que… Mais non ! je ne dis rien de plus. » Puis, d’Allevard, le 3 août : « J’ai, entre les mains, quelque chose de considérable ; je viens de faire un immense progrès, car je viens d’aiguiller sur autre chose que sur une négation ; mais chut ! »