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SCHEURER-KESTNER

XVI

Le lendemain du jour où il signa ce décret, Félix Faure quitta triomphalement Paris pour son voyage en Russie. Une brillante escadre le conduisit de Dunkerque à Cronstadt. Hanotaux l’accompagna. Une mission spéciale, avec Boisdeffre, prit la voie de terre. Les fêtes de Pétersbourg furent splendides. Au moment de se séparer, dans le déjeuner d’adieu donné à bord du Pothuau, le Président de la République et le jeune Empereur proclamèrent, pour la première fois, l’alliance des deux peuples. Il avait été seulement question, dans les rencontres précédentes, de leur amitié.

Félix Faure rentra à Paris le 31 août ; la Fête de l’Alliance fut célébrée avec de grandes démonstrations.

La pompe d’un tel voyage, l’écho des acclamations du peuple russe, le grand mot enfin prononcé par le Tsar, la paix du monde consolidée, et, en apparence, l’équilibre européen rétabli, tant de sujets sérieux de contentement et tant de motifs à illusions accrurent le prestige personnel de Félix Faure et l’autorité du ministère Méline. Depuis plus de dix ans, nul gouvernement en France n’avait été plus fort ; il était vraiment le maître de la situation.

Il ne l’était pas seulement par cet éclat qui lui venait du dehors. Méline avait rassuré les intérêts conservateurs, sans céder encore sur les principes républicains. Il avait, de longue date, lié partie avec les grands propriétaires fonciers et la grande industrie pour l’établissement du régime protectionniste ; il s’était concilié encore leurs représentants par sa bonne grâce, parce qu’il ne les traitait pas en ennemis, leur accordait de