Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/553

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
543
SCHEURER-KESTNER

XVII

Billot, le 2 septembre, envoya le lieutenant-colonel Bertin en éclaireur[1].

Scheurer, quand il vit arriver l’officier chez lui, se garda de lui parler, le premier, de Dreyfus ; il le reçut comme un visiteur ordinaire, en ami. Au bout d’une heure, Bertin n’y tint plus : « Vous occupez-vous encore de Dreyfus ? — Oui, reprit Scheurer, et je suis fixé maintenant : il est innocent. »

Mais, malgré des interrogations répétées, il refusa de dire ce qu’il savait. Seulement, « d’une voix grave et les yeux dans les yeux[2] », il déclara qu’il était résolu à faire tout son devoir : « Rien ne m’arrêtera, une fois que je serai lancé. Je ne tolérerai pas qu’une pareille iniquité se perpétue. Le général Billot a manqué de confiance envers moi ; il a eu tort. Je n’ai pas été dupe des fables qu’il m’a contées. Je ne ménagerai pas toujours l’ami qu’il est pour moi. » Et comme l’officier objecte qu’il se fera beaucoup de tort : « Je mépriserai tout ce qui ne concerne que ma personne. »

Vers la fin de l’entretien, Bertin, à qui Billot avait raconté l’enquête de Picquart sur Esterhazy, formula un blâme contre les militaires qui bavardent. Scheurer

  1. Bertin se rendit en voiture chez Scheurer avec le neveu du sénateur. En passant devant l’usine de Dreyfus, à Belfort, il dit à Fernand Scheurer : « Voilà le champ de Tropmann, le champ du crime. » (Rennes, II, 57.)
  2. Mémoires de ScheurerRennes, I, 168, Billot : « Bertin vint me rapporter que Scheurer-Kestner, le regardant avec des yeux d’acier, lui avait dit… »