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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Je vous dis que Dreyfus est innocent ; je vous dis qu’il est la victime d’une erreur judiciaire ; je vous dis qu’on le sait ; je vous dis qu’on préfère charger sa conscience d’un crime — car c’en est un aujourd’hui — que de reconnaître publiquement qu’on s’est trompé. Je vous dis que de pareilles choses sont inacceptables au xixe siècle ; je vous dis qu’elles déshonorent la République ; je vous dis qu’elles feront dans l’histoire une triste place au gouvernement d’aujourd’hui ; je vous dis que, dussé-je y perdre ma situation dans le monde, je remplirai mon devoir !

Leblois[1] déconseilla l’envoi « de cette admirable lettre ». Pourquoi discuter avec les « petits » ministres ? Il ne faut parler qu’à Félix Faure. Attendez d’avoir vu Picquart ; « or, il suffit d’un mot pour empêcher son voyage. »

XX

Scheurer se rendit à ces arguments, mais, tout en cédant une fois de plus à Leblois, il maugréait. Je lui fis part d’une observation qui m’inquiétait. On savait, dans les bureaux de rédaction, son intention de prendre en mains la cause de Dreyfus ; pourtant, Drumont se taisait : pourquoi ? Il me répondit : « Laissons ces gens-là, et, sans nous occuper d’eux, allons droit notre chemin[2]. »

Si le silence de Drumont ne lui paraissait pas significatif, la lecture de certains journaux l’indignait. La

  1. De Gernsbach, 19 septembre 1897.
  2. De Thann, 22 septembre.