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SCHEURER-KESTNER


comme vous, comme moi aussi. Croit-on que je ne souffre pas moi-même de tant de retards ?… Ah ! si seulement le pauvre martyr a la force d’attendre ! Il m’est impossible de vous dire combien je m’en sens tourmenté… Mais il ne s’agit pas de crier haut, de lever de grands bras, d’enfler la voix, de s’indigner même ! Tout cela est inutile, donc nuisible. Ce qu’il faut, c’est sauver l’individu, rendre l’honneur à sa famille, — et sauver l’honneur du gouvernement républicain. De tels intérêts sont sacrés. Plus tard, vous saurez tout et, alors, vous me rendrez la justice que j’ai fait tout ce qui était en mon pouvoir pour aboutir au plus vite… J’ai dit que j’agirai. Mon caractère ne se démentira pas, je le jure ; je le jure, silencieusement, à ces pauvres martyrs auxquels je donne, chaque jour, une pensée douloureuse[1].

La publication des expertises fut ajournée.

D’ineptes, mais dangereuses légendes, commencèrent à circuler. Un jeune diplomate, attaché au cabinet d’Hanotaux[2], « savait » qu’un sous-officier véreux, moyennant finances, se dénoncerait comme l’auteur du bordereau. Il me le dit à moi-même, et j’en avisai Scheurer[3]. Ainsi ressuscitait l’homme de paille, né jadis du cerveau fumeux de Bertillon. Picquart lui-même y avait cru, sur la foi de Du Paty ; bien d’autres vont y croire.

La Croix[4] raconta cette histoire en même temps que Rochefort annonçait la prochaine évasion de Dreyfus[5]. Scheurer en conclut que le ministre des Affaires étrangères avait des accointances, directes ou indirectes, avec le journal des Assomptionnistes.

  1. De Thann, 4 octobre 1897.
  2. Maurice Borel.
  3. Par lettre du 1er octobre.
  4. 3 octobre.
  5. 5 octobre.