En fait, Esterhazy était trop lâche pour se tuer, même en rêvant de terribles funérailles. D’ailleurs, nul esprit plus mobile. Pendant toute cette crise, il passe, incessamment, du désespoir à la confiance, s’abandonne et s’exalte, se résigne, à la façon d’un fataliste d’Orient, et met fiévreusement la main à la pâte, se désole et s’agite, et, dans la même minute, rumine vingt projets, mort, fuite et bataille.
Henry travaille avec une autre méthode. D’un calme imperturbable, comme s’il n’avait rien à craindre pour lui-même, il est partout à la fois, ranimant les courages qui défaillent et les énergies trop vite lassées, retenant Esterhazy par la promesse du secours de l’État-Major, et effrayant l’État-Major par la menace de la désertion ou du suicide d’Esterhazy. Il s’applique surtout à mettre Du Paty en mouvement, à l’enfoncer dans l’affaire jusqu’au cou. Et il ne l’attaque pas directement, sauf pour lui affirmer qu’Esterhazy est un brave soldat[1]. Mais il pousse Gonse sur Boisdeffre, qui, d’une phrase insidieuse, d’une allusion équivoque, d’un désir à peine formulé, peut faire de Du Paty ce qu’il veut. Ce n’est pas un Picquart qui ne cherche pas à comprendre la secrète pensée des chefs, qui réclame des ordres formels, écrits. Ce vrai soldat devine à mi-mot, à un geste,
- ↑ Cass., II, 196, 200, Du Paty.
convenir plus tard qu’elle a menti aux juges (Cass., I, 788, Gérard). Autant père, le gérant, est formel dans sa déposition (156, 160) ; son fils la confirme (158). — Au procès Zola (II, 157), il la renouvelle. — Le 26 octobre, Esterhazy écrivit une seconde lettre, sur papier du Cercle militaire, donnant congé à son propriétaire ; l’acte, transférant le bail à la fille Pays, fut signé par les contractants chez Me Agnellet, notaire, le 8 novembre. Le propriétaire ayant écrit, au dernier moment, qu’il demandait encore à réfléchir, Esterhazy menaça le principal clerc d’aller, le soir même, trouver son client et de lui « tirer les oreilles ». (Procès Esterhazy, 157, Autant.)