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LA COLLUSION


tent les quelques centaines de délicats qui répugnent à cette grossière nourriture ?

Esterhazy a prétendu que son plan de défense lui fut, jusque dans les plus minutieux détails, imposé par Du Paty, au nom de Boisdeffre, qu’il le trouva absurde, proposa de raconter que le bordereau lui avait été dicté par Sandherr, « comme une lettre de change tirée sur l’ensemble des preuves qui établissaient la culpabilité de Dreyfus », mais que, rabroué par le porte-parole de L’État-Major et soldat avant tout, il s’inclina, obéit[1].

Il est manifeste, au contraire, qu’Henry se concerta avec lui, obtint de lui des indications que nul autre n’eût pu fournir. Il connaît, d’ailleurs, par le menu, l’enquête de 1894 ; il y a trouvé le germe de quelques-unes de ses inventions.

Du Paty, évidemment, fut informé des arguments qu’Esterhazy allait faire valoir. Et il y souscrivit, les trouvant ou de bonne guerre ou plausibles, et sans apercevoir les perfides maladresses qui, plus tard, quand elles seront relevées par des esprits critiques, mais insuffisamment informés, les égareront sur sa propre piste[2].

Esterhazy (le 25 octobre) débita au général Millet ces bourdes[3]. La lettre (il la montra) d’une amie inconnue, « fée bienfaitrice » ou maîtresse qui se venge d’un infidèle, l’a surpris dans le calme des champs : il a appris ainsi le complot tramé contre lui par Picquart[4],

  1. Récit d’Esterhazy dans le Matin du 18 juillet 1899 et Cass., I, 587.
  2. Instr. Tavernier, 28 juillet, Du Paty : « Esterhazy a intérêt à me compromettre. Henry a le même intérêt pour écarter l’orage qui plane sur lui. Tous deux se concertent. »
  3. Lettre du 25 octobre 1897 au ministre de la Guerre : « Suivant les instructions de M. le Directeur de l’Infanterie, j’ai l’honneur de vous adresser le récit de ce que j’ai dit à cet officier général. » (Procès Esterhazy, 124.)
  4. Le nom, dans la lettre d’Esterhazy à Billot, est orthographié : « Picard. « On en déduira qu’Esterhazy n’est pas au courant des choses ni des hommes du ministère. Il savait, au contraire, que cette orthographe irritait particulièrement Picquart. — (Voir p. 209.)