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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Il fut décidé qu’Esterhazy brusquerait les choses. Il demandera directement à Boisdeffre d’ouvrir une enquête sur la lettre du capitaine Brault. Si Brault n’a pas écrit à Esterhazy pour lui demander des renseignements au sujet du combat d’Eupatoria, on en déduira que la lettre était l’œuvre d’un faussaire et que ce faussaire était Dreyfus.

Dans le premier interrogatoire que Du Paty avait fait subir à Dreyfus, au Cherche-Midi, il lui avait montré la photographie de cinq mots du bordereau[1] : « Il me semble vaguement, avait dit le malheureux, — mais il se rétracta aussitôt, — que cette écriture ressemble à celle du capitaine Brault[2]. » Récemment, un rapport de Guénée a signalé à Henry que dans la maison habitée par le beau-père de Dreyfus a demeuré un nommé Braut[3]. Or, « c’était cette exclamation de Dreyfus, cette homonymie et cette demeure qui avaient suggéré le roman d’Eupatoria[4] ».

Il y avait bien des objections à faire à cette défense graphologique d’Esterhazy bâtie sur un propos furtif de Dreyfus. Pourquoi Dreyfus aurait-il choisi Esterhazy pour lui emprunter son écriture ? La ressemblance entre l’écriture d’Esterhazy et la sienne ne suffisait-elle pas à motiver un autre choix ? Si l’auteur du bordereau, quel qu’il soit, a eu l’intention de dissimuler son écriture, pourquoi ne s’est-il pas servi simplement de la

  1. « Je vais partir en manœuvres. »
  2. Voir t. Ier, 157.
  3. Esterhazy, Dép. à Londres, Édit. de Bruxelles, 56. — Selon Esterhazy, ce Braut était un ami d’Hadamard ; ils ne se connaissaient même pas. L’immeuble qu’ils habitaient est, en fait, composé de deux maisons, l’une ayant son entrée au 53 de la rue de Châteaudun, où habitait Hadamard, l’autre au 62 de la rue de la Victoire, où habitait Braut.
  4. Esterhazy, Dép. à Londres, 1er mars 1900.