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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


lité de Dreyfus et, l’an passé, au cours de l’interpellation de Castelin, il eût voulu intervenir.

Dès que Grousset sut de Ranc quels étaient les projets de Scheurer, il alla les raconter à quelques députés et aux journalistes qui, à la Chambre, dans la salle des Pas-Perdus, guettent les nouvelles. Le bruit s’en répandit aussitôt. On m’interroge ; je confirme que Scheurer est, en effet, convaincu de l’innocence de Dreyfus, mais je n’en sais pas davantage.

Il y eut, ce jour-là, parmi les députés, plus de curiosité que d’émotion. Mais la meute des chiens courants de la presse, hardis, adroits à saisir les pistes, à forcer les secrets au gîte, à faire débucher les scandales, donna aussitôt de la voix et se mit en chasse. La chasse dura trois ans.

Ces nouvellistes « aux pieds agiles » avaient pris un nom anglais, reporter, d’un mot français déformé (rapporteur). Dès le lendemain, ils se précipitèrent chez Scheurer. Il n’aimait pas la presse, détestait les habitudes qu’avait créées le besoin d’informations, en était resté aux journalistes d’autrefois, les Nefftzer et les Peyrat. Surpris par cette invasion de questionneurs indiscrets, il ne les reçut point comme des ambassadeurs du quatrième Pouvoir, le plus redoutable de tous parce qu’il fait l’opinion. Il confirma seulement, avec quelque brusquerie, les propos de ses amis, mais dit que son devoir était de s’adresser au gouvernement. Ils lui firent sentir que c’était à eux, d’abord, qu’il devait ses confidences, les pièces de son dossier. S’il refuse de leur rien dire, c’est qu’il n’a rien à dire. Un collaborateur de Drumont[1] lui reprocha ses lenteurs. Il con-

  1. « Gaston Méry s’installa dans un fauteuil… Je n’aurais jamais cru qu’un homme appartenant à un pareil journal se permît de venir chez moi. » (Mémoires de Scheurer.)