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LA COLLUSION


au général Leclerc de faire continuer à Picquart sa mission sans interruption ; il lui ordonne maintenant d’envoyer le colonel à la frontière tripolitaine[1].

Au sud de Gabès et de son golfe jusqu’à la province de Tripoli s’étendent 200 kilomètres de désert. Les pirates du sable, Ourghamas et Hammamas, y exercent, depuis des siècles, leurs brigandages. Morès s’était engagé dans ces parages malgré la défense du résident général à Tunis ; il n’avait pas tardé à y trouver la mort. On n’y chevauche pas impunément[2].

Le général Leclerc s’étonna d’un ordre aussi étrange ; il convoqua Picquart, à Tunis, lui demanda des explications. Pour la première fois, Picquart lui conta les causes de sa disgrâce. L’honnête général lui dit de ne

  1. Procès Zola, I, 309 ; Instr. Fabre, 175 ; Cass., I, 197, Picquart : « On prenait pour prétexte un rapport que le général avait envoyé, quelque temps auparavant, qui signalait un rassemblement de cavaliers sans aucune importance à la frontière tripolitaine. Le général Gonse devait avoir eu connaissance de ce rapport, car il avait sous ses ordres la section dite d’Afrique. » — Cass., I, 253, Gonse : « Vers le mois d’octobre (entre le 10 et le 15), le général Leclerc signala au ministre des rassemblements assez nombreux dans le vilayet de Tripoli. Cette lettre nous fut envoyée avec une annotation, de la main même du ministre, prescrivant d’étendre la mission de Picquart à la frontière tripolitaine et ordonnant d’en prévenir officiellement le ministre des Affaires étrangères. »
  2. Procès Zola, I, 309, Picquart : « Ce n’est pas un des points… les plus sûrs. » — I, 369, Gonse : « Nous n’avons pas l’habitude d’envoyer faire tuer nos officiers pour rien du tout… Il ne s’agissait pas d’aller dans des parages dangereux, mais d’aller dans des postes où nous avons des officiers qui circulent tous les jours très facilement… Jusqu’à présent, depuis l’occupation de la Tunisie, il n’y a jamais eu d’accident. » — De même, à la Cour de cassation : « Les dangers de cette mission étaient purement imaginaires. » (I, 254.) — Rennes, I, 172, Billot : « On n’a jamais songé à se débarrasser de Picquart. On a dit : « Il a été envoyé dans le sud de l’Afrique pour y trouver la destinée de Morès. » Ces procédés ne sont ni dans nos mœurs ni dans le caractère du général Billot. »