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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


pudeur de ne s’en ouvrir qu’à Billot et à Boisdeffre, et, du coup, devient leur complice.

Ce n’étaient pas des imbéciles. Dès lors, aucun d’eux ne crut que Picquart eût dérobé un document qui, révélé, pourrait déchaîner la guerre (car il n’existe pas de tels documents), qu’une femme lui a soustrait cette pièce, et que, pour se venger d’un infidèle, elle l’a donnée à un traître. Mais ils feignirent d’y croire[1]. Ils savaient, au surplus, que le crime qu’ils imputaient à Dreyfus, c’était Esterhazy qui l’avait commis. Ils étaient les premiers de l’État et de l’armée.

Ainsi, ils accueillirent la fable d’Esterhazy et d’Henry comme l’expression de la vérité. Et, sans retard, au lieu de sévir contre le maître-chanteur, on frappa, à nouveau, sur Picquart. Billot, dès le lendemain[2], fit télégraphier par Boisdeffre au général Leclerc « que Picquart s’était laissé voler par une femme la photographie d’un document secret de la plus haute importance et compromettant pour un attaché militaire étranger ; le gouvernement en était informé ». On ignorait toutefois quel était ce document. Leclerc était invité, d’urgence, à interroger Picquart.

  1. Procès Zola, I, 138, Boisdeffre : « J’ai à affirmer que je ne sais absolument rien sur la personnalité de la dame voilée et sur la dame voilée, et que je n’en ai entendu parler que par les journaux. » — Mensonge, puisque, dès le 31 octobre 1897, il a connu la lettre d’Esterhazy à Faure, qu’il a télégraphié le lendemain au général Leclerc, etc. Il en convient plus tard : « J’ai eu connaissance de l’incident ; nous avons cherché vainement… » (Cass., I, 264.) — De même Gonse (I, 567). — Billot se dérobe : « La femme voilée existe. On a dit que c’était une personne ayant eu des relations avec Picquart, chez qui celui-ci aurait oublié ce document. — Vous n’avez pas cru devoir ouvrir une procédure judiciaire sur cette disparition ? — Non. À défaut d’indications précises, ce n’était pas le cas. » (Cass., I, 12, 13.)
  2. 1er novembre 1897. (Cass., I, 12, Billot.)