Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, Eugène Fasquelle, 1903, Tome 2.djvu/666

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
656
HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

prévient, toutefois « qu’il s’adresse, pour la dernière fois, aux pouvoirs publics ».

Et, brandissant d’un geste impérieux le document libérateur : « Cette pièce est une protection pour moi, puisqu’elle prouve la canaillerie de Dreyfus[1], et un danger pour mon pays, parce que sa publication, avec le fac-similé de l’écriture, forcera la France à s’humilier ou à faire la guerre. »

Il insiste sur cette menace : « Que dira le monde entier quand cette lettre deviendra publique ? Que pensera-t-on dans le monde quand on saura la lâche et froide cruauté avec laquelle on m’a abandonné ? Mon sang va retomber sur vos têtes. » Non, il ne laissera pas son honneur servir de rançon aux querelles des partis, il le défendra par tous les moyens si Félix Faure ne se décide pas à « forcer les Ponce-Pilate de la politique à faire une déclaration nette et précise au lieu de louvoyer pour conserver les voix de Barrabas ». « Toutes les lettres que j’ai écrites vont arriver entre les mains d’un de mes parents qui a eu l’honneur, cet été, de recevoir deux Empereurs. »

Félix Faure n’en a reçu qu’un seul !

Il termine par cette sonore et burlesque péroraison :

Je pousse le vieux cri français : « Haro à moi, mon prince, à ma rescousse ! » Je vous l’adresse à vous, Monsieur le Président, qui, avant d’être le chef de l’État, êtes un honnête homme, et qui devez, au fond de votre âme, être profondément écœuré de la lâcheté que vous voyez.

Qu’on me défende et je renverrai la pièce au ministre

  1. Cass., I, 583, Esterhazy : « Je n’avais pas matériellement ce document, mais je le connaissais. » C’est l’évidence que nie d’ailleurs Roget. (Cass., I, 100 ; Rennes, I, 322, etc.) Il est vrai qu’Esterhazy, à son procès, avait dit qu’il ne connaissait pas la pièce (125). Dans ma déposition devant la Cour de cassation (2 mai 1904), j’ai émis l’hypothèse que la pièce dont Esterhazy menaçait Félix Faure était le bordereau annoté ou la lettre de l’empereur d’Allemagne. La pièce « Canaille de D. » était connue de tout le monde depuis un an ; en quoi sa révélation aurait-elle pu inquiéter le président de la République et l’État-major ?