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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


reculer devant les injures des antisémites et tenait à montrer que le souci, non pas de l’honneur, qui n’était pas en jeu, mais du point d’honneur, n’était pas moins vif dans son âme de juif que dans celle d’aucun chrétien. Morès reconnut que Mayer était étranger à l’incorrecte divulgation[1], mais prétendit qu’il en nommât lui-même l’auteur[2]. C’était rendre le duel inévitable. Mayer repoussa cette indignité, qui était une nouvelle injure.

Morès et Guérin savaient que l’indiscrétion commise était le fait d’Ernest Crémieu, qui l’avait avouée, spontanément, aux témoins de son frère. Le lieutenant Trochu, tout de suite, en avait avisé Guérin[3].

Visiblement, les antijuifs, Morès, Drumont, cherchaient à étendre le scandale, la ligne de bataille.

Quelques jours auparavant, dans la salle des Pas-Perdus, au Palais de Justice, Guérin, disait-on, se serait écrié : « Que nous ayons un bon cadavre de juif et vous verrez toute la France en l’air[4] ! »

  1. Procès-verbal de rencontre, signé : pour Morès, comte de Lamase, J. Guérin ; pour le capitaine Mayer, capitaine Delorme, capitaine Poujade.
  2. Procès Morès, audience du 29 août 1892 : « Si le capitaine Mayer, demande le président Delegorgue, avait dénoncé l’auteur de l’indiscrétion, vous l’auriez considéré comme un lâche, » Morès garde le silence. À l’audience du lendemain, Esterhazy dit que la « proposition était inacceptable ; si le capitaine Mayer avait fait cela, il eût été mis en quarantaine par ses camarades. »
  3. Procès Morès, audience du 29 août, interrogatoire de Guérin, déposition du lieutenant Trochu. À l’audience du 29 août, Morès prétendit n’en avoir rien su. Mais Guérin avoue formellement que Trochu avait nommé Ernest Crémieu-Foa (Droit du 30 août 1892) ; il est impossible que Guérin n’en ait pas informé Morès.
  4. Acte d’accusation : « Le 15 juin, alors qu’on attendait le verdict du jury sur la poursuite dirigée contre le directeur du journal la Libre Parole (par Burdeau, dans l’affaire de la Banque