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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


suivies avec Mathieu ; désormais, jusqu’à-la fin du drame, je le verrai tous les jours, délibérant, discutant avec lui. Mais, alors, je n’en savais pas plus que lui ; Scheurer avait refusé de me confier le nom du traître.

Ce silence, imposé par Leblois à Scheurer, a été désastreux. Si j’avais connu le nom en juillet, Scheurer n’eût pas perdu deux mois à chercher péniblement des lettres de l’auteur du bordereau. Et si Mathieu l’avait connu, il eût employé sa police particulière à réunir un dossier contre Esterhazy.

Un piège, qui eût pu être dangereux, me fut tendu. Je reçus, un jour, une lettre, d’une écriture contrefaite, dont le signataire, Voland, offrait des révélations capitales si je voulais le mettre en rapport avec Mme Dreyfus. Mathieu, un revolver dans la poche et accompagné d’un ami, se rendit à l’adresse indiquée. L’homme, la mine d’un argousin de bas étage, dit qu’il était officier et l’auteur du bordereau. Qu’on lui donne de l’argent pour sa maîtresse et il se dénoncera lui-même. C’était l’homme de paille, le « volontaire de la trahison[1] » annoncé, depuis deux mois, par le moine de la Croix et les journaux de l’État-Major. Mathieu vit l’infâme machination policière, sans doute quelque coup d’Henry ; il dit au misérable d’aller, s’il était le coupable, trouver le procureur de la République.

Entre temps, l’annonce que Scheurer va déposer une requête était traitée, dans le propre journal de Méline, comme une manœuvre pour masquer la retraite[2]. Les autres journaux redoublèrent de violence. Scheurer est un « idiot », un « vieillard gâteux », « l’exemple le plus frappant de la stupidité contemporaine[3] ». On récla-

  1. Écho de Paris du 13 novembre 1897.
  2. République du 10.
  3. Jour du 12.