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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS

Si ce témoignage de Lauth devait être admis tout entier dans son bizarre contexte, il en résulterait, non seulement que la consigne de Picquart aurait été nulle et non avenue, mais que Picquart s’y serait prêté lui-même en laissant Henry maître des cornets et en se bornant à transmettre à Lauth les documents en langue étrangère.

Cela est absurde en soi ; et les choses, en fait, ne se passèrent pas ainsi.

Il est manifeste que ce que Lauth veut dire, en son jargon, c’est qu’Henry procédait, au préalable, — « néanmoins, toujours » — à l’inspection des pièces.

Dans la phrase suivante, il patauge de même, mais se trahit encore : « Henry a pris livraison du paquet (celui où se trouvait le petit bleu), mais il ne se rappelle plus, il ne peut pas affirmer s’il a enlevé tous les papiers qui lui revenaient, ou non. »

Or, tous les papiers revenaient à Picquart. Ici encore, il s’agit d’un examen préalable, mais trop sommaire.

Dans la même audience, Henry affirme, « sur tout ce qu’il a de plus sacré au monde » : 1° « qu’il était le seul à recevoir les papiers », ce qui est exact ; sa fonction, en effet, était de recevoir les paquets, puis de les remettre à Picquart ; 2° « qu’il n’a jamais vu le petit bleu dans le cornet », ce qui est encore exact, car, s’il l’avait vu, il l’aurait supprimé ; mais ce qui implique qu’il regardait, d’abord, dans les paquets.

À l’instruction Fabre, Gonse dépose, à son tour, « que les paquets étaient remis à Henry, qui en opérait le triage et remettait le tout à Picquart qui, après les avoir examinés, les rendait à Henry et à Lauth pour les reconstituer » (39).

Si telle avait été la consigne de Picquart, elle eût été absurde : ce premier triage, à quoi eût-il servi, puisqu’Henry remettait ensuite le « tout », tous les fragments, à Picquart qui les rendait à Lauth et à Henry ? Cependant Gonse dit la vérité : c’est bien ainsi que procédait Henry ; il ne remettait les cornets à Picquart qu’après les avoir inspectés.