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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


Il avait fait la chose brutalement, avec son cynisme ordinaire, et jouant d’ailleurs, se jouant à lui-même la comédie jusque dans le plus abject des crimes.

Par lettre d’abord, puis dans une audacieuse visite, en plein jour, Esterhazy s’offrit à l’attaché militaire d’Allemagne, mais non comme l’espion ordinaire, en quête de trente deniers. Ayant décliné son nom, il dit que, de cœur et d’âme, il était resté hongrois, autrichien, allemand, qu’il n’avait de français que le déguisement de son uniforme et que, s’il l’avait revêtu, c’était pour mieux servir sa patrie d’origine en lui livrant les secrets de l’ennemi. S’il demandait de l’argent, beaucoup d’argent, c’était moins pour lui que pour sa femme et ses enfants qui mouraient de faim.

Il ajouta qu’il n’était pas, à la vérité, officier d’État-Major, mais qu’il était en position de connaître les affaires les plus secrètes du ministère de la Guerre,

    L’ambassadeur d’Italie m’a fait, d’après Panizzardi, les mêmes récits qu’à Scheurer-Kestner et à Trarieux, au sujet des rapports de Schwarzkoppen et d’Esterhazy. (Cass., I, 469 et 470 ; Rennes, III, 425, Trarieux.) J’en ai eu, plus tard, confirmation pleine et entière par le prince de Munster, à qui Schwarzkoppen, avant de quitter Paris, avait fait enfin sa confession, et qui en avait pris note pour ses Mémoires. — L’Empereur d’Allemagne a fait quelques rares, mais très formelles, déclarations qui m’ont été répétées. — Enfin, au mois de novembre 1898, peu de jours après que j’eus fait paraître mon premier article (de pure déduction) sur la complicité d’Esterhazy et d’Henry (Siècle du 7 novembre), j’ai reçu la visite d’un écrivain russe, des plus considérables, qui me fit part de la conversation qu’il avait eue à Andermatt, en octobre, à la veille de l’inauguration du monument de Souvaroff, avec le baron de Yonine, ministre de Russie, et le général de Rosen, attaché militaire russe à Berne. L’un et l’autre tenaient directement de Schwarzkoppen qu’Esterhazy lui avait désigné Henry comme son informateur. — Schwarzkoppen avait été nommé à Paris le 10 décembre 1891. — La notation : Renseignements inédits, qu’on trouvera plus d’une fois au cours de ce volume, se rapporte à l’une ou à l’autre des sources que je viens d’indiquer.