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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


taine ; l’adultère, s’il avait été commis, n’entraînait pas forcément le crime ignoble de trahison. Du Paty désigna de l’index le milieu de son front : « Votre oncle aurait dû se tuer. »

Un peu plus tard, il arriva, escorté de Gribelin, chez Mme Dreyfus, qui se retira, le laissant avec Mathieu. Il recommença son discours ; le capitaine était un monstre et un fou, les charges accablantes, il était entré dans la voie des aveux. Mathieu eut l’impression que le fol, c’était ce juge. Il lui tint tête, énergique, de grand sang-froid, attestant l’impossibilité morale d’un tel crime. Du Paty déclamait : « Nulle tâche plus terrible que celle qui lui avait été imposée. Du premier coup d’œil, il avait reconnu l’écriture de l’accusé dans les pièces et lettres anonymes qui prouvaient la trahison. Dès que le crime avait été connu au ministère, tous avaient nommé Dreyfus. » Il évoqua encore une fois ses aïeux.

Mathieu lui fit cette proposition : « Laissez-moi pénétrer auprès de mon frère. Vous réglerez vous-même les conditions de l’épreuve. Je les accepte toutes. Vous assisterez, derrière un rideau, à notre entretien. Pas un mot, pas un geste ne vous échappera. Si, dans une heure de folie, par impossible, il a commis une imprudence, il me dira tout, à moi, à moi seul, et moi-même je lui mettrai le pistolet dans les mains ». Du Paty cria : « Jamais ! jamais ! un mot, un seul, ce serait la guerre, une guerre européenne[1]. »

Et Dreyfus resta muré dans sa cellule, au secret, sans communication avec les siens, déjà hors du monde,

  1. Du Paty rédigea encore un procès-verbal de cette conversation : « Nous lui avons répondu qu’il ne nous appartenait pas de donner cette autorisation, et que nous ne croyions pas qu’il put l’obtenir en plus haut lieu. » Signé : Du Paty, Gribelin, Lucie et Mathieu Dreyfus.