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LA « LIBRE PAROLE »


Pères Assomptionnistes ; et Henry renseigne Judet[1].

Il reste des journaux honnêtes, qui auraient horreur de tromper sciemment la confiance du peuple ; mais la fièvre d’information à outrance les gagne, ou la peur les prendra, intimidés ou lâches, de paraître résister au courant, pécher par tiédeur, d’être vendus aux juifs. Les plus hardis enregistrent les bruits, impartialement, comme des faits. À cette heure, où leur voix serait encore entendue, plus forte que la tempête qui se forme, la barbarie renaissante de l’antisémitisme les trouve muets. Drumont surveille, — comme jadis, sous la Terreur, Marat.

IX

Comment le peuple, dès lors, eût-il douté, de la culpabilité du juste ? D’abord, le gouvernement semble l’affirmer : il a attendu quinze jours avant d’annoncer l’arrestation du traître, l’ouverture d’une instruction ; donc, la longue enquête secrète a fourni des preuves écrasantes ; l’État-Major, les ministres les ont pesées, avant de déchaîner ce scandale, de jeter sur l’armée cette tache de boue. Et les faits mêmes de la trahison, précis, recueillis de bouches autorisées, qu’aucun démenti ne vient frapper, remplissent les colonnes des journaux, non seulement des journaux du parti prêtre, des jésuites, mais de tous les autres qui répètent, les uns comme les autres, les mensonges intéressés et les

  1. Rédacteur en chef du Petit Journal, ancien professeur de lycée ; il avait été rayé des cadres universitaires, pour des motifs restés inconnus, par le ministre Bardoux, le plus indulgent des hommes. Le directeur du Petit Journal était Marinoni, ancien ouvrier, le constructeur des grandes machines rotatives.