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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


tout armées, toutes commandées, tout organisées, et munies de tout ce qui leur serait nécessaire pour déployer et faire valoir les admirables qualités militaires de notre race ! »

Cette phrase, d’une banalité redondante, sonna mal à quelques oreilles, inquiéta de rares esprits trop clairvoyants. Jules Guesde, député socialiste et grand-prêtre du marxisme français, traduisit cette impression d’une phrase brutale : « C’est le maréchal Lebœuf qui vient de parler ! » Les protestations éclatèrent ; le président Dupuy rappela Guesde à l’ordre.

Mercier, en fait, n’avait réfuté aucune des assertions de Lockroy. Les révélations courageuses, vraiment patriotiques, de quelques hommes de mer, sur le désordre de la défense navale, avaient produit récemment une salutaire anxiété. Ce mouvement d’opinion, le discours de Mercier l’arrêta. Il lui avait suffi de jeter à la Chambre des phrases vibrantes, la proclamation solennelle qu’aucun des instruments nécessaires de combat ne manquait, que tout était prêt. L’humiliation de Fachoda est dans ce cliquetis de mots. Le jour où surgira brusquement la possibilité d’un conflit avec l’Angleterre, apparaîtra en même temps l’impossibilité de préserver nos côtes, nos plus grands ports, Dieppe, « qu’un simple vaisseau détruirait méthodiquement comme dans un exercice de tir[1]», Cherbourg, le Havre, Marseille et Nice sans défenses sérieuses.

Mais la Chambre, alors, était à la joie de ses alarmes dissipées.

Rien de plus dangereux que ces faciles victoires de tribune pour les militaires, incapables de résister à l’atmosphère des assemblées, vite grisés. Le soldat d’hier

  1. Amiral Bourgeois, la Défense des Côtes. — Cf. Lockroy, la Défense navale, p. 183.