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HISTOIRE DE L’AFFAIRE DREYFUS


en Italie avant votre mariage ? — Votre femme n’est-elle pas abonnée à la Médecine nouvelle ? »

Sur le bordereau, sur l’accusation elle-même, rien (ou presque rien) que de sombres niaiseries : « Vous avez examiné à votre aise » — pendant une demi-minute — « l’écriture de la lettre incriminée ; vous niez en être l’auteur : sur quoi repose votre négation ? »

À peine eut-il montré à Dreyfus l’original du bordereau qu’il le lui retira. Dreyfus répondit : « Je sais, en mon âme et conscience, que je n’ai pas écrit cette lettre ; donc, elle ne peut pas être de mon écriture[1]. »

L’auteur de la lettre missive est allé aux manœuvres ; Dreyfus n’y est pas allé. Du Paty n’a pas encore inventé que Dreyfus a pu avoir la pensée, l’espoir d’y aller. Et Henry veille, qui a une raison capitale d’écarter les manœuvres d’automne, si clairement désignées par le bordereau qu’il a reçu dans le courant de septembre. En effet, Dreyfus était arrêté déjà depuis quinze jours lorsque la ramasseuse apporta une lettre de Schwarzkoppen, du 29 octobre, où l’attaché militaire annonçait à son État-Major, entre autres documents, « les manœuvres de forteresse de Paris et de Toul[2] ». De qui viennent ces renseignements, sinon de l’auteur du bordereau ?

Henry cache cette pièce dans ses archives, et le mot de « manœuvres » de la lettre incriminée va désigner, pour D’Ormescheville comme pour Du Paty et pour Fabre, le voyage d’État-Major, en juin. Et la trahison datera du printemps, quatre ou cinq mois avant l’arrivée du bordereau.

  1. 29 novembre.
  2. Rennes, III, 558, Labori. (Pièce du dossier secret, versée seulement à Rennes le 6 septembre 1899, examinée en séance secrète.)