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LE DOSSIER SECRET


à son cabinet. Il me dit n’avoir pas été moins surpris que moi par l’article du Figaro ; il avait interrogé Mercier ; celui-ci niait tout ; un démenti passerait, le soir même, dans le Temps. Il m’en communiqua le texte[1]. Je convins qu’il n’y avait plus lieu à incident, mais j’ajoutai que Mercier, certainement, ne lui avait pas dit la vérité.

Le lendemain, le rédacteur du journal maintint son récit. Il affirma n’avoir même rapporté que partie des propos de Mercier. Précédemment déjà, Mercier lui avait certifié la culpabilité de Dreyfus[2].

Mercier lui-même, plus tard, a démenti son démenti, traité de puéril le reproche d’avoir exprimé, avant le jugement, une opinion personnelle[3].

  1. Temps du 28 novembre : « Un journal du matin publie un article intitulé : Espionnage militaire, dans lequel on attribue certains propos au ministre de la Guerre. Le ministre n’a pas tenu ces propos. Il ne pouvait émettre un avis sur la solution d’une cause déférée à la justice militaire. D’autre part, il n’a pas pu parler des complices civils, puisque cette complicité, si elle eût existé, eût rendu la cause justiciable de la Cour d’assises, et non plus du conseil de guerre. »
  2. Figaro du 29 novembre. — Quelques rares journaux blâmèrent l’interview de Mercier. L’Autorité la trouva « extraordinaire ». Arthur Meyer écrivit dans le Gaulois : « Si le ministre de la Guerre prononce un tel arrêt contre le capitaine Dreyfus, quelle liberté reste-t-il au conseil de guerre ? Le général Mercier peut être un honnête homme et un brave soldat ; mais, en cette occasion, il a manqué à tous les devoirs de l’humanité, et le cœur d’un homme n’a pas battu sous son uniforme. » (29 novembre.)
  3. Rennes, 1, 95 : « On m’a reproché, au mois de novembre 1894, d’avoir exprimé, dans une ou plusieurs interviews, ma croyance à la culpabilité du capitaine Dreyfus. Je trouve que ce reproche est puéril, et qu’en définitive, puisque je déférais le capitaine Dreyfus à la justice militaire, c’est que je croyais à sa culpabilité. Sans cela, j’aurais été moi-même criminel de me conduire de pareille façon vis-à-vis d’un officier placé sous mes ordres, à qui je devais protection par cela même qu’il était sous mes ordres. »


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