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LE PROCÈS


de l’anthropométrie à l’écriture ? Demange[1], Lépine, malgré son estime pour Bertillon, « esprit réfléchi et consciencieux, d’une ingéniosité confinant parfois au génie[2] », et Picquart[3] avouent n’y avoir rien compris. De même Brisset : « Je n’ai rien compris à ce redan[4]. » Et les juges, affirme Picquart, n’y comprirent pas davantage, « malgré ce qui a été prétendu depuis »[5]. Tel est aussi l’avis de Lépine : leurs figures ennuyées semblaient dire « qu’ils n’avaient pas besoin de ce civil, pour savoir de qui est le bordereau[6] ».

Mais ce qu’ils comprirent très bien[7], c’est que Bertillon, lui aussi, attribuait « nettement et catégoriquement » le bordereau à Dreyfus. Des expertises précédentes, d’un examen personnel, il restait des dissemblances entre l’écriture de Dreyfus et le bordereau. Or, Bertillon les expliquait. Comment ? « Au moyen de mots, grossis par la photographie, qu’il empruntait au bordereau et à une lettre de Mathieu Dreyfus[8]. » Explication inepte, mais qui, tout de même, satisfait ces esprits militaires, peu habitués à penser, qui demandent aux affirmations de les dispenser de réfléchir. « L’expertise de Bertillon, déclare Maurel, fut comprise ; elle s’adressait à la fois à l’esprit et aux yeux des juges[9]. » Et

  1. Cass., III, 601, Demange.
  2. Cass., II, 10, Lépine.
  3. Cass., I, 131, Picquart : « J’ai d’ailleurs rendu compte de cette impression d’obscurité, le soir même, au Président de la République ; je me souviens qu’il avait vu le schéma de M. Bertillon. »
  4. Cass., III, 601, Demange.
  5. Cass., I, 13, Picquart.
  6. Cass., II, 10, Lépine.
  7. Cass., I, 131, Picquart.
  8. Cass., II, 7, Freystætter : « Les dissemblances furent expliquées par Bertillon… »
  9. Rennes, II, 192, Maurel.