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LE PROCÈS

Dans sa captivité, depuis sept longues semaines, il avait ému, convaincu tous ceux qui l’approchaient, les simples gardiens, qui, derrière la porte, écoutaient ses pleurs. Incapable de trouver un sanglot, un mot, un cri pour gagner ses juges, il avait attendri ses geôliers par la sincérité de son désespoir, puis par son courage, le grand effort qui l’avait redressé pour la lutte. À l’user, ceux-ci avaient eu le temps de le pénétrer, de lire en lui. Ils souhaitaient tous l’acquittement, certains de l’innocence de leur prisonnier, déjà ennobli par le malheur.

Il était lui-même dans sa prison, montrant à nu son cœur douloureux, son âme éprise d’honneur, épouvantée de l’injuste honte. Il reprit, avec son uniforme, sa roideur d’apparat, pour aller à la dernière audience.

XV

Demange plaida pendant près de trois heures, avec une interruption de quelques minutes.

Lépine, grand admirateur de l’éloquent avocat, dit que son attente fut déçue, non pas que la forme du discours n’eût été « très belle », mais « parce que Demange ne toucha qu’à une question ; il démontra avec force preuves, techniques et intrinsèques, que le bordereau ne pouvait pas émaner de Dreyfus[1] ».

C’était tout le procès : que pouvait plaider Demange, dans l’ignorance où il était du véritable auteur de la trahison, sinon que Dreyfus n’avait pu écrire, n’étant pas allé aux manœuvres, qu’il y allait partir ; n’ayant pas vu tirer la pièce de 120, qu’il savait comment elle s’était comportée ; n’ayant pas été instruit d’une modi-

  1. Cass., II, 10, Lépine.


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