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CHAPITRE XI

LA DÉGRADATION

I

La nuit était tombée depuis longtemps quand Dreyfus fut ramené à la prison qu’il avait quittée, le matin, d’un cœur joyeux, sûr d’être libre le soir, au milieu des siens. Maintenant, la vérité légale, c’est qu’il est un traître, le plus vil des hommes. La vie, avec cette honte, était pire que la mort. La mort seule eût été douce, le profond sommeil sans rêve ni réveil. En rentrant dans sa cellule, où il aperçut Forzinetti, il cria, de la porte : « Mon seul crime est d’être juif ! » et, de toutes les forces qui lui restaient, il demanda un revolver[1].

Tout était brisé en lui : son culte de la raison, sa foi dans la justice, son amour des hommes. Aussitôt, un homme lui prit la main, qui était bon et qui croyait encore en lui.

Ce vieux soldat avait vu beaucoup de malheureux ; se baissant vers eux, il s’était élevé à les plaindre. Il avait vu beaucoup d’injustices ; une de plus, pour

  1. Cass., I, 321, Forzinetti ; Rennes, III, 107, Dreyfus : « Après ma condamnation, j’étais décidé à me tuer, à ne pas aller à ce supplice épouvantable… » — Le journal de Dreyfus, à l’île du Diable, commence par la même confession. (14 avril 1895.)