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LA DÉGRADATION


crois pas pour cela que mon âme soit moins vaillante et moins forte, mais le corps est un peu affaibli par trois mois de prison. » Il lui dit combien cette entrevue, même à travers les barreaux de la prison, lui a fait de bien. « Tu as dû sentir que j’étais décidé à tout. Je veux mon honneur et je l’aurai. Aucun obstacle ne m’arrêtera. Imposons le respect au monde par notre attitude et notre courage. »

Forzinetti, bouleversé par la cruauté tragique de l’entrevue, demanda que la suivante pût avoir lieu dans son cabinet, en sa présence. Saussier accorda cette faveur, sous la responsabilité de Forzinetti.

La parade d’exécution, fixée d’abord au 4 janvier, fut ajournée au 5 qui était un samedi, le sabbat des juifs, le jour de joie et de prière.

Dreyfus écrit à Demange : « Jusqu’au dernier moment, j’espérais qu’un hasard providentiel amènerait la découverte du vrai coupable… Je marcherai à ce supplice, pire que la mort, la tête haute, sans rougir. Vous dire que mon cœur ne sera pas affreusement torturé, quand on m’arrachera les insignes de l’honneur que j’ai acquis à la sueur de mon front, ce serait mentir ; j’aurais mille fois préféré la mort. Mais vous m’avez indiqué mon devoir, et je ne puis m’y soustraire, quelles que soient les tortures qui m’attendent. Et vous m’avez inculqué l’espoir ; vous m’avez pénétré de ce sentiment qu’un innocent ne peut être éternellement condamné ; vous m’avez donné la foi. »

Il écrit à sa femme : « On m’apprend que l’humiliation suprême est pour après-demain. Je m’y étais préparé ; le coup cependant a été violent. Je résisterai, je te l’ai promis. Je puiserai les forces qui me sont encore nécessaires dans ton amour, dans l’affection de vous tous, dans le souvenir de nos enfants chéris, dans l’es-