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LA CHUTE DE MERCIER


nêtes et loyaux soldats, qui verront en lui un traître, ce qu’il y a de plus abject parmi les criminels. Rien qu’à cette pensée, son cœur se serre. »

Il ne peut plus ni « regarder en arrière », car les larmes le saisissent quand il pense à son bonheur passé, ni regarder les portraits de ses enfants, car les sanglots encore le prennent à la gorge. Et il ne veut pas pleurer devant les témoins qui ne le quittent plus d’une minute, ni s’affaiblir devant tant d’épreuves imminentes. Il faut vivre pour attendre la résurrection de l’honneur.

Cependant, sa conviction est absolue : « Tôt ou tard, la lumière jaillira. » Il a confiance dans l’Histoire. « Il se trouvera bien, dans notre beau pays de France, si généreux, un homme honnête et assez courageux pour chercher et découvrir la vérité[1]. »

XII

Près d’un mois s’était écoulé depuis qu’il n’avait vu sa femme. Elle obtint, enfin, du nouveau ministre de l’Intérieur[2], le droit d’aller à l’île de Ré, d’être admise, deux fois par semaine, dans la prison. Et, toute joyeuse dans son malheur, « d’une joie d’enfant », elle partit avec l’une des belles-sœurs de son mari[3].

Elle arriva dans cette île désolée le 13 février, et, tout de suite, se rendit au fort. Elle y fut seule admise. Le directeur du dépôt la reçut durement et donna des ordres. Il la fit attendre longtemps, dans la cour, par un froid glacial, à la porte des condamnés. Les soldats

  1. Lettres d’un innocent, janvier et février 1895, p. 80 à 102.
  2. Georges Leygues.
  3. Mme Léon Dreyfus. M. Valabrègue (de Carpentras) accompagna ses deux belles-sœurs.