Page:Joseph Reinach - Histoire de l’Affaire Dreyfus, La Revue Blanche, 1901, Tome 1.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
72
HISTOIRE DE l’AFFAIRE DREYFUS


trouvaille confirme leur système. S’il n’y avait pas eu de juif parmi les stagiaires, ils auraient réfléchi, reconnu, sans trop de peine, que le bordereau ne pouvait être l’œuvre ni d’un officier d’artillerie, parce qu’il y était parlé en termes trop incorrects des choses de l’artillerie, ni d’un stagiaire d’État-Major, parce que les stagiaires n’étaient point allés aux manœuvres où l’auteur de la trahison annonçait à son correspondant qu’il « allait partir ». Mais l’idée du juif les a pris, saisis, dominés ; et les invraisemblances s’évanouissent, et il ne s’agit plus que de trouver des interprétations congruentes, et ils les trouvent. L’important serait de fuir le mensonge ; ils le poursuivent. Les manœuvres, par exemple, — puisqu’il faut écarter celles d’automne, — ce sera ce voyage d’État-Major, en juin, où est allé Dreyfus, où il a émerveillé ses camarades par sa science, où il s’est promené avec Boisdeffre sur le pont de Charmes. C’est donc avant de partir pour ce voyage que Dreyfus aurait écrit la lettre infâme !

Or, le bordereau est de septembre ou de fin août.

Fabre et D’Aboville peuvent ne pas savoir que le bordereau est de cette date[1], qui sera déclarée, plus tard, officiellement, par tout l’État-Major. Cependant Gonse le sait déjà, et Boisdeffre, et Mercier. Donc, toute l’accusation croule au premier pas. Mais Dreyfus est juif et, pour que le mot de manœuvres puisse s’appliquer à ce voyage d’État-Major, le bordereau sera du printemps.

Quoi ! du printemps ! Et il ne serait arrivé à l’État-Major, par le cornet, — puisque telle est la version d’Henry, acceptée ou donnée par les chefs, — qu’à la fin de septembre ! La femme Bastian livre deux fois par mois

  1. Procès Zola, II, 111, Gonse et Pellieux.