Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/23

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rait être admise. Il y a là tant de précipitation et de désordre, tant de négligences et de contradictions, qu’il est impossible, en y jetant les yeux, de s’arrêter à la pensée d’une révision ultérieure.

Quoi qu’il en soit, M. Joubert s’accuse, et peut-être n’est-ce point à moi de lui donner un démenti. Admettons donc que, dans un jour d’abandon, il a touché du bout des lèvres la coupe où s’abreuvaient ses amis. Mais si sa sérénité n’en a point été troublée, si les germes renfermés en son âme ne se sont point desséchés à ce contact, si sa pensée est demeurée chaste et pieuse, et qu’en passant au milieu des erreurs du temps il ait appris à mieux aimer les vérités éternelles, qu’importe qu’il se soit assis un moment au banquet de la philosophie ? Nous tous qui n’avons vécu que des restes tombés de la table, en serions-nous sortis, comme lui, avec la parole libre, l’esprit ferme et le cœur droit ?

Il trouvait, au surplus, dans l’étude un puissant préservatif contre tous les entraînements. Au milieu du tumulte de Paris, il ne mettait pas en oubli les écrivains de l’antiquité, délices de sa jeunesse, et son bonheur était grand lorsque, dans le monde littéraire, il rencontrait des hommes qui les aimaient et savaient les comprendre comme lui. C’est ainsi qu’il s’était rapproché d’un jeune écrivain dont le début récent et plein d’éclat semblait promettre à la France un grand poëte de plus. Recherché par lui, M. de Fontanes n’avait pas tardé à reconnaître le prix de son commerce. Aussi bientôt s’était formée entre eux une de ces amitiés vivaces et fécondes qu’alimentent et resserrent chaque jour, à défaut des souvenirs de l’enfance, l’échange d’abondantes idées