Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/26

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divine un moment prêtée à la terre, éternel élément qui se laisse difficilement incorporer aux ouvrages des hommes, et qui leur communique, lorsqu’il s’y attache, une part de son immortalité. N’était-ce point là ce que M. Joubert cherchait dans les livres, non par exigence calculée et de propos prémédité, mais parce que ses sympathies se refusaient malgré lui aux écrivains que n’animait pas ce souffle céleste, ou qui n’avaient pas su du moins le faire passer dans leur œuvre ? M. de Fontanes peut-être se contentait à moins. Plus indulgent pour les autres et pour lui-même, il n’exigeait pas qu’au travers des jeux de l’esprit, de ses grâces ou de ses caprices, on entendît résonner sans cesse la voix profonde de l’âme, mêlant à chaque parole ses vibrations pénétrantes. Le marbre lui suffisait, quand l’élégance et la forme avaient été données ; son approbation n’attendait pas que la statue s’animât et frémît sous le ciseau du Pygmalion.

Quoi qu’il en soit des dissidences qui séparaient les deux amis, leur mutuelle estime se chargeait de les adoucir, et les fondait, si je puis dire, en nuances insensibles. M. Joubert aimait les vers de M. de Fontanes plus que M.deFontanesnelesaimaitlui-même, et celui-ci, charmé, tout en le combattant, de la franchise et de l’originalité de ses doctrines, y puisait des idées nouvelles qui devaient, même à son insu, modifier pi us tard les régI es de sa critique. Ainsi, lorsqu’au début du siècle suivant, quelques esprits chagrins de l’aréopage académique attaquèrent si vivement l’auteur A’Âtala et des Martyrs, il en embrassa la défense avec une ardeur qu’alimentaient moins encore peut-être ses sentiments pour la personne du grand écrivain que les perspectives plus larges, les