Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/468

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pinceau. Il y a une uniformité qui plaît. Virgile est Virgile partout ; ainsi de Raphaël, de Greuze, de Fénelon, de Bossuet, de La Fontaine, de Racine ; vox hominem sonat ; on les retrouve et on les reconnaît avec délices, toujours les mêmes dans des ouvrages différents.

L’ouvrage déplaît, si l’on n’y reconnaît pas l’auteur. Celui-ci a opéré pendant que son âme était absente ; c’est une œuvre de son pinceau, de sa plume, et non de lui ; c’est l’art ou le métier tout seul ; ce sont des lignes et des couleurs, de l’encre et du papier ; mais il n’y a là qu’une apparence de livre, un mets insipide et froid : le maître y manque. L’âme sommeille quelquefois, il est vrai, bonus dormitat homerus ;

mais pourvu qu’on la sente, qu’on l’entrevoie, qu’on la devine, on est content. Elle plaît assoupie, oisive ou distraite. Les fautes mêmes font plaisir, si elle y a contribué ; mais rien n’est beau sans elle.

Il est plus aisé de rendre la régularité belle que le désordre beau, parce que celui-ci repousse la beauté, et qu’il faut, pour l’introduire en lui, une puissance singulière, et que la nature seule peut donner. C’est donc la régularité