Page:Joubert - Pensées 1850 t1.djvu/63

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« ceux qui ont le cœur dans l’amertume ? » pendant que les arts s’unissaient à la religion et à la poésie, pour la représenter couchée sur le marbre, et indiquant du doigt, au-dessous du nom de ses proches, tombés sous la hache révolutionnaire, cette plainte suprême qu’elle avait acquis le droit de répéter après Rachel : Quia non sunt, M. Joubert honora de bien des larmes les funérailles lointaines de l’amie qui lui avait été si chère. La nouvelle du triste événement lui était parvenue à Villeneuve, où il avait coutume de passer la belle saison ; il y resta tout l’hiver suivant, silencieux et comme enveloppé dans sa douleur.

Cependant un autre attachementsemblait destiné à remplir le vide que cette mort venait de laisser dans son existence. Madame de Vintimille, avec laquelle il avait déjà commencé de se lier, ne pouvait pas sans doute lui faire oublier madame de Beaumont, car il cultivait ses souvenirs autant que ses amitiés ; mais elle réussissait du moins à adoucir ses regrets en y mêlant une affection nouvelle. Une grande bonté de cœur s’unissait chez elle à un esprit très-orné, àunjugement plein de rectitude, et M. Joubert lui trouvait, pour les choses morales, la supériorité qui distinguait madame de Beaumont sous le rapport intellectuel . Il faut bien le rappeler d’ailleurs, quoique assurément madame de Vintimille fût une des femmes qui eussent le moins besoin d’indulgence, personne n’avait plus que lui le droit de dire : « Quand on aime, c’est le cœur qui juge » ; ou de répéter ce mot singulier et charmant : « Quand mes « amis sont borgnes, je les regarde de profil. » Comme il lui fallait des tendresses entières, des admirations que rien ne vînt amoindrir ou contrarier, il prêtait volontiers