Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/105

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velléités de séparatisme qu’on prête quelquefois à nos poètes de langue d’oc. Cette accusation est une absurdité et une calomnie, voilà tout. L’idée qu’on pourrait fonder un royaume d’Occitanie, avec la Provence, la Gascogne et les quatre provinces catalanes détachées de l’Espagne, est une idée si bouffonne, si parfaitement chimérique, qu’il m’est impossible de la discuter sérieusement. Il est vrai que Mistral parle quelquefois de la nation [1] provençale, de ses souvenirs et de ses espérances, mais le mot de « nation » n’a ici aucun sens politique, et je défie qu’on trouve dans les œuvres et dans les nombreux discours de l’illustre chef de notre Félibrige, une phrase, un mot, qui puisse autoriser une aussi monstrueuse interprétation. Et pour ce qui est du peuple de Provence, vous pouvez m’en croire, si je vous déclare, d’abord qu’il est assez indifférent, en général, à la restauration littéraire, tentée et accomplie par les Félibres, comme le sont en général les paysans et les ouvriers, dans tous les pays, aux œuvres purement littéraires, ensuite que son indifférence se changerait résolument en hostilité, s’il pouvait soupçonner que cette restauration littéraire cache des projets de restauration ou de révolution politique. Je suis originaire du comtat Venaissin qui célébrait, il y a huit ans à peine, le centenaire de son annexion réelle à la patrie française : eh bien ! je dois à la vérité de dire que la domination papale, si douce pourtant et si effacée qu’elle était pour ainsi dire purement nominale, n’a laissé aucun regret parmi mes concitoyens, ni même aucun souvenir. Quant à la Provence proprement dite, elle a contracté avec le peuple français un mariage d’amour, il y a plus de quatre cents ans, et rien ne permet de supposer que ce mariage n’a pas

  1. On cite dans les Isclo d’or la romance ou plutôt le Sirvente qui a pour titre la Comtesse, Mais cette composition, dans laquelle on a cru voir des intentions séparatistes, n’est qu’une allégorie contre la centralisation. (Voir la Note de Mistral.)