Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

leur heure, par une imagination fougueuse et désordonnée, que les Français, en un mot, en dépit de leur amour des idées claires et des raisonnements logiques, connaissent la poésie vraie, éclatante ou mouillée de larmes. J’emprunterai mes exemples, il est vrai, à cette période de l’histoire littéraire, qu’on peut appeler la suite du romantisme, mais le romantisme n’est qu’un nom, et j’ajoute tout de suite un nom qui n’est pas très heureux. À mesure que nous avançons, par un phénomène d’optique historique qui est en même temps un jugement de la postérité commençante, adversaires et rivaux, romantiques et classiques, nous semblent se confondre et se ressembler de plus en plus. Victor Hugo nous apparaît comme l’héritier authentique de Corneille et se réconcilie même avec Racine, dont il s’est toujours refusé à reconnaître la grandeur [1]. De sorte que la démonstration que je vais essayer de vous présenter n’est pas seulement valable. Messieurs, pour la période contemporaine : elle a, si je puis ainsi parler, un effet rétroactif. Il est très-remarquable qu’on comprend mieux la poésie de Racine et la versification de Boileau — je dis même de Boileau — quand on s’est mis à l’école des romantiques. Au point de vue de la forme, le vers romantique est la suite naturelle du vers classique, c’est le vers classique assoupli, développé, et ramené aussi à ses origines latines. Au point de vue du fond, il apparaît clairement que si les grands classiques ont toujours gardé dans leurs œuvres cet ordre, cette proportion, cette sobriété qui fait leur grandeur et peut-être aussi leur faiblesse, ce n’est pas qu’ils aient manqué d’imagination, comme on le dit quelquefois, c’est qu’ils l’ont refrénée, contenue, concentrée, et nous avons alors d’autant plus de plaisir à sentir chez eux cette flamme latente, ce feu intérieur, qui lorsque les glaces du XVIIIe siècle se seront fondues, ne tardera pas à s’épanouir en volcan.

  1. V. Paul Stapfer, Racine et Victor Hugo.