Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/44

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

semblable à une plaque photographique, enregistrait surtout les sensations du blanc et du noir. L’un des torts de Taine et de son école a été de croire qu’on pouvait tout expliquer, et que le génie de La Fontaine, de Shakespeare ou de V. Hugo pouvait se démonter comme un mécanisme, dont les ressorts seraient un peu compliqués, mais qui recevrait son impulsion, en dernier lieu, d’un détail de l’organisation psychique ou physique. J’admire, comme il convient, l’in- géniosité du critique qui analyse subtilement toutes les in- fluences exercées sur un écrivain de race, comme Taine l’a fait dans son ouvrage sur La Fontaine et dans son Histoire de la Littérature anglaise, mais je ne suis pas dupe de ce qu’il y a d’artificiel ou de dogmatique même dans cette méthode, et tout en reconnaissant qu’il y a, dans la théorie que je viens de résumer, quelques traits intéressants et peut- être exacts, je continue à penser, par devers moi, que le génie est chose inexplicable et que l’esprit souffle où il veut.

Poursuivons néanmoins notre analyse, et passons du sens de la vue à la Mémoire Imaginative et à l’Imagination. Les psychologues modernes, M. Ribot par exemple, disent volontiers que la Mémoire n’est que le prolongement de la sensation, et que les aptitudes de l’Imagination créatrice sont déterminées par les aptitudes de la Mémoire. Voyons si cette vue théorique s’applique à V. Hugo. Nous avons, à ce qu’il semble, déterminé une sorte d’angle subtil dont les branches vont maintenant s’écarter de plus en plus, et si les propriétés constitutives du sens de la vue ne con- tiennent pas, même en germe, le secret de la puissance créatrice, tout au moins pouvons-nous les considérer comme des indications suggestives.

D’abord V. Hugo gardera avec une netteté extrême le souvenir des Choses vues. Quand il a assisté à un spectacle de la nature, il le revoit avec une intensité inouïe, peut- être même supérieure à l’intensité de la perception. Je n’in-