Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/57

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de nos jours, comme la sculpture ou la peinture, un art réfléchi, où le métier a sa part, et ce métier exige un apprentissage, des recherches patientes, des observations laborieuses. On fait une pièce de vers, comme on fait un portrait, avec des retouches nombreuses, comme on cisèle un bloc de marbre, comme on fabrique une pièce d’orfèvrerie ou de menuiserie compliquée. L’inspiration n’est pas bannie, sans doute, mais elle est réglée. Elle suggère encore les thèmes poétiques et guide dans le choix d’un sujet, bien que la réflexion et la science aient ici encore plus de part que le hasard. Mais quand l’élaboration du sujet est achevée, l’œuvre de la versification commence, et si elle comporte d’heureuses trouvailles, un certain bonheur d’expression, elle n’en est pas moins rigoureusement déterminée et soumise à des règles précises. Un poème à écrire, c’est comme un problème à résoudre, et ce problème général se décompose lui-même en une série de petits problèmes particuliers, choix des rimes, des images, des mots etc. La solution de ces problèmes exige l’entière lucidité de l’esprit, et laisse peu de place à l’inspiration, toujours inconsciente par quelque endroit. Le dictionnaire des rimes joue un rôle essentiel dans cette méthode de composition.

De là vient la prédilection que l’École Parnassienne a manifestée pour les petits poèmes à forme fixe. Hugo semble avoir eu peu d’estime pour le sonnet. Il n’en a écrit que trois ou quatre à ma connaissance; il est vrai qu’ils sont admirables. On s’est demandé quelquefois pourquoi Hugo a si rarement adopté une forme poétique qui a tant d’adeptes ou même de fanatiques. La réponse n’est pas bien difficile. Le génie de Hugo se sentait à l’étroit dans cette prison de quatorze vers. Il lui fallait le grand air, les grands espaces, le libre essor de la strophe, les perspectives illimitées de l’épopée. Les Parnassiens n’avaient pas les mômes raisons pour éviter les poèmes à forme fixe. La contrainte qu’ils imposent semble gêner l’inspiration, mais ce n’est là qu’une