Page:Jouffret - De Hugo à Mistral, 1902.djvu/62

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m’occuper plus particulièrement aujourd’hui, c’est un savant universel. Historien, érudit, médiéviste, helléniste, indianiste, il a tout étudié, et étudié à fond, suivant les méthodes les plus scientifiques. Il connaît, par les textes, l’histoire du moyen âge, et il suffit de lire son poème des Deux Glaives pour voir qu’il a admirablement compris la querelle du St Siège et de l’Empire. Il s’est assimilé l’esprit latin, et s’est nourri de Virgile, de Catulle et de Lucrèce. Surtout il est helléniste : ses traductions de l’Iliade et de l’Odyssée sont vraiment remarquables et font autorité. J’ai pu me rendre compte, en les consultant, que les contre-sens n’y font pas défaut, mais ce qui les distingue surtout, c’est le sens de l’antiquité qui les anime. Le système de traduction adopté par Leconte de l’Isle me paraît inattaquable. D’abord il renonce aux transcriptions des noms propres que la tradition semble imposer. Pourquoi donner à Athénê ou à Héra les noms latins de Minerve et de Junon ? La Mythologie latine n’est pas, il s’en faut, exactement concordante avec la mythologie grecque. Si les Romains ont provoqué eux-mêmes cette confusion, ce n’est pas une raison pour que nous la commettions à notre tour. Et pourquoi dire Ulysse ou Achille ? Disons Odysseus et Achilleus. L’impression de la vie antique n’en sera que plus nette. Mais si ce sont là des détails ou des enfantillages — et je n’en suis pas sûr — ce qu’on ne saurait s’empêcher de louer, c’est le mode de traduction du texte, qui se rapproche autant que possible du mot-à-mot. Quoi qu’il en soit, il n’est pas, en français, de traduction d’Homère, qui donne aussi nettement la sensation du texte grec. Indianiste, Leconte de l’Isle n’est pas moins remarquable. Savait-il le sanscrit ? Je n’oserais l’affirmer, et à vrai dire, je ne le crois pas. Mais il lisait, dans les traductions de Burnouf, les poèmes indiens, les Védas, le Ramayâna. Enfin il a parcouru toutes les civilisations, toutes les époques. Il a fait des poèmes hébraïques, des chansons écossaises, des vers scandinaves, des pantouns